La complainte de la bûche de chèvre (petit traité de somnambulisme adultérin)

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Trois heures du matin. Je suis devant mon miroir, me préparant (enfin), pour aller dormir. Brossage de dents, démaquillage. Ne reste plus qu’à retirer les lentilles. La droite. Puis la gauche. Mais la gauche ne vient pas. La gauche s’accroche, le pétale de silicone s’étant ventousée sur mon œil desséché. L’homme qui m’attend dans mon lit m’a tellement embrassé que n’ayant plus de salive, mon cerveau a redirigé l’ensemble des fluides lacrymaux vers ma bouche assoiffée.

Après cinq minutes de luttes acharnées, en pensant à Rox et Rouky, Croc Blanc, et autres drames cinématographiques d’une incommensurable tristesse, je parviens enfin, à me redandiner glamoureusement vers mon temple, mon domaine, mon royaume, mon lit.

Cette fin de soirée complètement inattendue dans mon désert affectif mérite que l’on prenne un instant un crayon de papier pour rembobiner la cassette des jours précédents.

****Flashback****

Dans un bar, apéro de rigueur avec une copine. Je remarque derrière elle les regards appuyés d’un homme à qui j’ai fait vaciller la concentration sur le match diffusé. Il sourit à mes bêtises, que je multiplie donc pour tester son seuil de résistance à la connerie.

Je le revois deux jours plus tard. Eclairage à la bougie, coupe de champagne, et main qui me caresse les doigts. Je me lève pour partir. Il se lève aussi. Il m’embrasse. Je flanche. This is it. Avant que cela ne se transforme en chorégraphie de Dirty Flirting, je m’évade de ses bras pour sagement rentrer. Il me raccompagne non moins sagement. Et continue de m’envoyer des messages me disant que mes baisers frôlent le divin. A ce moment-là, j’ai juste envie de faire une confcall à la terre entière.

Le lendemain, étrangement, j’ai l’impression d’avoir perdu dix-huit kilos et que mon cœur défie les lois de l’apesanteur. [Bip] Un SMS. Waouw, déjà. ! A ce stade, cela mérite la dépêche à l’AFP. A défaut, c’est avec Lily qu’on décortiquera ce bon signe. C’est sûr, ça commence bien.

Au quatrième texto, ça sent enfin le roussi. On annule l’interview au 20h, je répète, on annule l’interview au 20h !!! Bingo, le jeune prince a déjà une princesse dans son lit. Oups. Fallait bien que ça tombe. C’était trop beau pour être vrai. Quand je dis que l’homme célibataire est une denrée disparue, personne ne veut me croire… Et pourtant !

On me disait pessimiste, j’ai juste les pieds dans mon époque, le moral dans les chaussettes et le cœur aux oubliettes. Il veut qu’on en parle, je propose un vague café sine die

[Deux jours plus tard.] Chez moi. 22h54. Je l’attends. Je suis plutôt réfractaire à l’idée de jouer la psy-confesseur absolvant le péché de langue commis trois jours plus tôt. J’imagine déjà la conversation. J’en récite les phrases par cœur. Je patiente. Il arrive. Je prépare le café le plus imbuvable de la terre. On parle.

On s’embrasse. On s’embrasse. On s’embrasse.

Tandis que j’ai la flatteuse impression de lui faire découvrir LE baiser, je cherche au fond de moi la féministe flamme solidaire qui me fera interrompre le moment, pour préserver la morale et la justice. Rien. Que dalle. Nada. Si je pense à « Elle », c’est parce que je me dis qu’au fond de lui c’est lui qui y pense. Moi perso, mettre des cornes à une fille qui n’a rien demandé, finalement je m’en contrefous. Ça fait beaucoup trop de pensées pour un moment pareil.

Quarante-trois minutes de préliminaires plus tard, je commence à m’inquiéter. Oui, nous les femmes, nous ne sommes jamais contentes. Trop, ou trop peu. That is the preliminary question…

Je réalise alors que Monsieur a des scrupules à aller… au fond des choses, parce que visiblement « Pénétrer c’est tromper » mais que tout ce qu’il y a autour, c’est juste une innocente partie de Scrabble.

Par des subterfuges que je tairai ici, j’ai heureusement fini par lui faire comprendre que la seule lettre qui compte triple est le « A » et seul mot compte double valable,« orgasme ».

********

Et voici pourquoi il est quand-même déjà trois heures quand j’opère une opération démaquillage pré-hibernatoire.

Puis quand-même déjà quatre heures quand je soigne mon insomnie à coup de tartines au fromage de chèvre, seule dans ma cuisine. Pour certains, c’est la cigarette. Laissez-moi savourer ma bûche post-coïtale.

Il faut dire que je ne suis plus non plus habituée à partager mes 160cm de matelas. Encore moins avec une masse à poil, chaude et câline qui ne serait pas mon chat. Impossible de trouver le sommeil. Je ne suis tout simplement pas fatiguée. L’homme à côté a fini par s’endormir, mi-touchant, mi-terrifiant, et je compte désespérément les moutons sautant la barrière jusqu’à ce qu’ils se soient tous fait la malle et que l’enclos soit vide.

Quand soudain. Pris d’un regain d’énergie, out of nowhere comme dirait JCVD, l’homme me saute dessus, me couvre de baisers, de caresses, me parle à demi-mots, pris d’une fièvre de désir. Je me laisse faire, flattée de susciter un tel regain d’énergie nocturne. Je me laisse faire mais les sentiments contradictoires d’être au centre de l’attention et complètement transparente se mêlent. Il n’est pas à l’écoute de mes lèvres ni de mes mains. Il poursuit sa quête du plaisir  mais quand je me rends compte qu’elle ne passe pas par l’étape « T’as ce qu’il faut sous la main ? », que je le fais reculer, et qu’il bascule sur le côté, je réalise enfin.

L’homme dort encore. Il me désire mais ne me voit pas. Il m’embrasse, mais ne me goûte pas.

Je fais l’amour à un somnambule. Jouissif. Extraordinaire. Expérimental.

Je fais l’amour à un somnambule maqué. Jouissif. Extraordinaire. Amoral. Délicieusement interdit.

Il est sorti de mon appartement le lendemain matin par un baiser, et probablement sorti de ma vie, ne laissant qu’un amas de points d’interrogation, que j’examine un à un.

Si je me sens coupable ? Toujours pas.  Pour citer une amie, si les personnes qui se rencontrent étaient systématiquement célibataires, il n’y aurait pas beaucoup de couples. Je ne suis responsable que de mes propres actes, et ceux-ci ont plutôt tendu vers l’agréable.

Si je me sens fière ? Un peu. J’ai fait fauter un homme déjà épris. J’ai vu dans ses yeux un désir pour moi que je n’avais vu depuis longtemps. Je me suis sentie belle dans son regard et dans ses mains. Désirable. Irrésistible. J’ai incarné à la fois le sensuel et l’interdit.

Si je me sens coupable d’être fière ? Il y a de ça. Ne ressentant aucune solidarité féminine particulière me passant l’envie de recommencer, bien au contraire, j’ai plaisir à penser à ces filles hautaines et sûres d’elles qui tiennent en laisse invisible leur mâle dominé et, si l’intention d’infidélité n’est pas préexistante, celle-ci tombe et s’abat sur trois personnes de manière imprévisible.

Si je me sens conne ? Légèrement. J’ai le temps d’une soirée cru avoir décroché ma part d’eau de rose, imaginé une relation simple et romantique, puis imaginé un coup de foudre interdit se soldant par une histoire d’amour. Ce ne sera qu’une histoire éphémère pour nous. Une parenthèse tombée au bon moment dans un mauvais timing. Inutile de réfléchir au « Et s’il avait été célibataire ? ». Il ne l’était pas.  Je le savais. J’ai pris ce qu’il y avait à prendre.

Si j’ai perdu confiance en la fidélité masculine ? Non. J’ai croisé la route de quelqu’un qui a vécu son sentiment dans l’instant. Qui n’était pas ivre quand il m’a embrassé. Quelqu’un qui ressent. Tromperie il y a eu. Certes. Mensonge il restera. OK. Déraper ne fait pas du fauteur(-euse) un connard (ou une salope). C’est la réaction post-dérapage  qui détermine ce que nous sommes. Celui qui restera avec la légitime par peur de la confrontation sera lâche. Celle qui sortira renforcée dans son amour sera humble. Celui qui suivra son coup de cœur sera courageux, ou bien naïf.

Comment je me sens ? Euhhh… Bah bien en fait. A J+7, tous les symptômes post-adultérins sont évaporés. Je me suis sentie d’abord belle. Puis triste. Puis l’impression d’être une simple pute.  Puis d’être la dinde qu’on a farcie. Puis abandonnée. Puis fière. Puis énervée. Je me suis enflammée. Je me suis tue. Je me suis plainte. J’ai espéré. Je me suis énervée. Je me suis interrogée. J’ai douté. J’ai partagé. J’ai souri. J’ai ri.

Finalement, cette aventure m’a servi de check-up complet. Il était bien nécessaire après cette longue période d’inertie.

 Le corps désire, le cœur s’affole, le cerveau s’agite. Tout fonctionne. Je suis une fille normale. On peut continuer.

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